Une fille dans l’avion a jeté ses cheveux sur ma tablette et m’a bloqué l’écran, alors je lui ai donné une leçon de bonnes manières.

L’éclat des cheveux sur la lucarne d’ailleurs

La fatigue me rongeait les os depuis des jours. Cet avion représentait ma promesse de paix, mon îlot de silence arraché au tumulte. J’avais besoin de ces quelques heures suspendues entre deux mondes où mon esprit pourrait enfin se détendre. Un film, l’anonymat des nuages, le vrombissement régulier des moteurs comme berceuse.

Ma place semblait parfaite. Une fenêtre sur l’infini. Une tablette prête à accueillir mon écran. Jusqu’à ce qu’elle s’installe devant moi.

Elle a d’abord pris possession de son siège avec cette assurance des personnes qui considèrent l’espace comme leur propriété naturelle. Puis, d’un mouvement calculé mais nonchalant, elle a renversé sa chevelure par-dessus le dossier. Une cascade de mèches brunes a envahi ma tablette, occultant entièrement mon écran.

J’ai hésité. Respiré. Puis doucement tapé sur son épaule.

“Excusez-moi, vos cheveux bloquent mon écran.”

Elle s’est retournée, vaguement surprise, comme si l’espace derrière elle n’existait pas réellement.

“Oh, pardon,” a-t-elle murmuré avec un sourire distrait avant de ramener ses cheveux devant elle.

Le silence comme unique rempart

Dix minutes plus tard, la même cascade sombre débordait à nouveau sur ma tablette. Cette fois, quand j’ai touché son épaule, elle n’a pas réagi. Mon doigt a insisté, ma voix s’est légèrement élevée. Rien. Une ignorance parfaitement maîtrisée.

J’ai regardé par le hublot, observant les nuages qui semblaient immuables. L’irritation montait doucement en moi comme une marée. Je l’ai contenue, enfermée dans une boîte étanche. Le conflit attire les regards, et dans cet espace confiné, je voulais rester invisible.

J’ai fixé ces cheveux envahisseurs. Leur texture brillante, leur poids sur mon espace. La frontière violée entre son monde et le mien. Une idée s’est formée lentement, absurde d’abord, puis de plus en plus tentante.

Mon sac contenait trois chewing-gums à la menthe. Je les ai sortis méthodiquement, déballés avec soin. Leur parfum artificiel a envahi mon petit territoire alors que je commençais à les mâcher, l’un après l’autre. Sans hâte. Sans colère apparente. Juste la patience d’un horloger face à un mécanisme délicat.

La jonction des mondes séparés

La première touffe de gomme s’est logée parfaitement entre trois mèches. La deuxième a créé une petite constellation collante près de la racine. La troisième a formé un nœud impossible vers les pointes.

Le temps s’écoulait différemment maintenant. L’attente avait un goût sucré de revanche silencieuse. Les nuages défilaient, indifférents à notre petit drame d’altitude.

Quinze minutes plus tard, comme si un sixième sens l’avait alertée, elle a porté la main à ses cheveux. Ses doigts ont rencontré la résistance visqueuse. Son corps s’est raidi instantanément.

Elle s’est retournée, les yeux écarquillés par l’incrédulité.

“Qu’est-ce que… c’est?” a-t-elle balbutié, ses doigts s’agitant frénétiquement pour libérer ses mèches prisonnières.

Sans quitter mon écran des yeux, j’ai répondu calmement:

“C’est le visage de l’irrespect.”

“Vous êtes complètement fou!” a-t-elle sifflé.

La lumière fragile de l’entendement

“Et vous,” ai-je continué en regardant mon film comme si nous discutions de la météo, “vous êtes impolie. Voici vos options: supporter ce vol et couper vos cheveux plus tard, ou je peux vous aider maintenant. J’ai de petits ciseaux dans mon sac. Des ciseaux à manucure. Voulez-vous que je vous assiste?”

Son visage a perdu toute couleur. La réalité de notre situation semblait enfin l’atteindre, comme si jusqu’à présent elle avait navigué dans un monde parallèle où ses actions n’avaient pas de conséquences.

Je me suis penché vers elle, ma voix à peine audible au-dessus du ronronnement des moteurs:

“Si vous remettez vos cheveux ici, vous atterrirez avec la moitié de votre tête rasée. J’ai la main stable, même en turbulence.”

Le silence entre nous est devenu tangible. Sans un mot, elle a rassemblé ses cheveux, les a torsadés en un chignon serré qu’elle a maintenu comme si sa vie en dépendait. Son corps est resté figé pendant le reste du vol, ses épaules tendues trahissant sa conscience aiguë de mon existence derrière elle.

L’écran devant moi s’est éclairé. J’ai appuyé sur lecture. Le film a commencé à défiler dans un cadre parfaitement dégagé.

Dans l’espace entre les êtres

Les turbulences légères ont secoué l’avion. Son chignon n’a pas bougé d’un millimètre. J’ai remarqué la rougeur qui montait le long de sa nuque, la façon dont elle évitait soigneusement tout mouvement qui pourrait ramener notre attention l’un sur l’autre.

Étrangement, la victoire avait un goût amer. L’espace entre nos sièges s’était transformé en un champ de bataille silencieux, et nous étions tous deux perdants et vainqueurs à la fois.

Mon film défilait, mais mes pensées vagabondaient ailleurs. Vers cette frontière invisible entre les êtres que nous franchissons parfois sans y penser, et les étranges leçons que nous nous infligeons quand les mots ne suffisent plus.

Dans ce tube métallique suspendu entre ciel et terre, nous n’étions plus que deux solitudes qui avaient brièvement et maladroitement entrelacé leurs territoires.

Il existe des espaces où nous ne sommes pas seuls, même quand nous croyons l’être.

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