Entre tourisme et sacré : le Mont Sinaï au cœur d’une controverse
Le “Grand Projet de Transfiguration” annoncé par les autorités égyptiennes suscite actuellement une vague d’indignation internationale. Ce complexe touristique géant, prévu pour être inauguré en 2026, s’implante sur l’un des sites religieux les plus emblématiques de l’humanité : le Mont Sinaï, lieu où, selon la tradition biblique, Moïse aurait reçu les Dix Commandements.
Un projet pharaonique sur une terre sacrée
Ce projet titanesque, que ses détracteurs ont rebaptisé “Grand Projet de Défiguration”, prévoit la construction de cinq hôtels luxueux, environ 1 500 chalets et villas, un centre d’accueil de 600 m² et un vaste complexe commercial. Tout cet ensemble est situé autour du parc national du Protectorat de Sainte-Catherine, site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Au pied du Mont Sinaï, à environ 500 km à l’est du Caire, se trouve le monastère orthodoxe Sainte-Catherine, l’un des plus anciens monastères chrétiens encore en activité. Édifié au VIe siècle, ce joyau historique abrite d’inestimables trésors : manuscrits millénaires et reliques précieuses qui témoignent d’une histoire spirituelle exceptionnelle.
Un patrimoine menacé par le développement commercial
La position isolée du monastère l’avait jusqu’alors préservé des conséquences du développement touristique intensif. Mais avec l’arrivée de ce complexe, de nombreux experts et défenseurs du patrimoine tirent la sonnette d’alarme concernant les dommages irréversibles que pourrait subir ce site vénéré par les trois grandes religions monothéistes : le christianisme, l’islam et le judaïsme.
Des communautés locales bouleversées
Les répercussions du projet affectent également les populations bédouines qui vivent dans la région depuis des générations. La tribu des Jebeleya (littéralement “peuple de la montagne” en arabe) paie un lourd tribut : plusieurs habitations ont été détruites pour faire place aux nouvelles constructions.
Plus troublant encore, certaines familles ont reçu l’ordre de déplacer les sépultures de leurs ancêtres pour permettre l’aménagement d’un parking. Cette situation dramatique illustre le choc entre développement économique et respect des traditions ancestrales.
Un climat de tension et de répression
D’après Ben Hoffler, écrivain britannique et guide touristique proche des communautés bédouines, les opposants au projet feraient l’objet d’intimidations :
“S’ils en parlent, ils reçoivent une visite. La police secrète de Sainte-Catherine surveille tout de très près… nous avons eu des logiciels espions sur nos téléphones. Ils suivent les gens littéralement dans la rue. J’ai été suivi à de nombreuses reprises.”
Ces témoignages inquiétants suggèrent que les autorités égyptiennes cherchent à étouffer toute contestation, rendant difficile l’expression de préoccupations légitimes concernant ce projet controversé.
Une diplomatie religieuse sous tension
Face à ce projet, la communauté internationale reste curieusement silencieuse. Seule la Grèce s’est officiellement opposée à ces développements, en raison des liens culturels et religieux étroits qu’elle entretient avec le monastère Sainte-Catherine, les Grecs étant majoritairement chrétiens orthodoxes.
Les tensions ont atteint un point critique en mai dernier lorsqu’un tribunal égyptien a déclaré que le monastère se trouvait sur un terrain public. Cette décision a provoqué l’inquiétude de l’archevêque d’Athènes, Mgr Ieronymos, qui craint que l’édifice soit un jour “saisi et confisqué” par les autorités égyptiennes.
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sisi a tenté d’apaiser ces craintes en réaffirmant “son engagement total à préserver le statut religieux unique et sacré du monastère de Sainte-Catherine et à empêcher sa violation”. Mais ces promesses suffisent-elles à rassurer face à l’ampleur des travaux déjà engagés?
Un équilibre délicat entre tourisme et respect du sacré
Ce projet soulève une question fondamentale : comment concilier développement touristique et préservation des lieux sacrés? Présenté par Le Caire comme un “cadeau au monde entier et à toutes les religions”, ce complexe pourrait paradoxalement porter atteinte à l’authenticité spirituelle et historique du site qu’il prétend valoriser.
À l’heure où le tourisme de masse est de plus en plus critiqué pour ses impacts environnementaux et culturels, ce projet interroge sur les limites à fixer dans la transformation de sites religieux en destinations commerciales.
Foire aux questions
Quand le complexe touristique du Mont Sinaï sera-t-il achevé?
L’inauguration du “Grand Projet de Transfiguration” est prévue pour 2026, selon les autorités égyptiennes.
Quelles sont les principales composantes de ce projet touristique?
Le projet comprend cinq hôtels, environ 1 500 chalets et villas, un centre d’accueil de visiteurs de 600 m² et un vaste complexe commercial, le tout situé autour du parc national du Protectorat de Sainte-Catherine.
Pourquoi ce site est-il considéré comme sacré?
Le Mont Sinaï est vénéré comme le lieu où Moïse aurait reçu les Dix Commandements selon les traditions juive, chrétienne et musulmane. Le monastère Sainte-Catherine, situé à proximité, est l’un des plus anciens monastères chrétiens encore en activité et abrite d’importantes reliques religieuses.
Quelle a été la réaction internationale face à ce projet?
Étonnamment, la communauté internationale est restée largement silencieuse. Seule la Grèce s’est ouvertement opposée au projet, en raison de ses liens religieux avec l’Église orthodoxe et le monastère Sainte-Catherine.
